Les défis de l'agriculture indienne face au changement climatique

Photo Credit: Ludhiana (Punjab - India)

Les défis de l'agriculture indienne face au changement climatique

Réduction des émissions des gaz à effet de serre et tension sur la sécurité alimentaire

Source : article extrait de la lettre d’Asie du Sud de juillet 2013, publié sur le Site de la direction générale du Trésor - Ministère des finances et des comptes publics - Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique. Par Cédric Prévost (Direction générale du Trésor) - Service économique de l’Ambassade de France en Inde
Modifié, illustré et commenté par l’auteur de cette page.

En l’absence d’actions appropriées, l’impact du changement climatique sur l’agriculture indienne devrait se traduire par une forte tension sur la sécurité alimentaire, avec en cascade des conséquences économiques potentiellement lourdes.

En outre, les émissions de GES par l’agriculture indienne sont supérieures à la moyenne mondiale et sont certainement encore plus élevées en considérant un périmètre plus exhaustif. Or face à ce double défi, le plan d’action national élaboré par le gouvernement indien n’a de portée qu’incantatoire.

Sommaire

##La vulnérabilité de l’agriculture indienne au changement climatique

D’ores et déjà, le changement climatique est observable en Inde. Une élévation des températures est constatée. L’analyse des données de l’India Meteorological Department (IMD) a mis en évidence dès 1993 une température annuelle moyenne systématiquement plus élevée que la température moyenne relevée entre 1960 et 1990. En revanche, selon l’IMD, il n’est pas observé à ce stade une modification du régime de la mousson.

En termes prospectifs, la National Mission for Sustainable Agriculture (NMSA) retient, sur la base des travaux du GIEC, une élévation de +1°C et de +3°C, respectivement aux échéances 2020 et 2100, ce qui correspond à une estimation consensuelle retenue par les différents rapports scientifiques abordant ce point.

S’agissant des pluies, les prédictions de long terme sont plus difficiles à formuler et donnent des conclusions souvent très variées voire contradictoires.

Au cours du XXIème, le changement climatique en Inde se traduirait également par une contraction de la couverture glaciaire dans la chaîne de l’Himalaya, ce qui ne serait pas sans conséquence sur le débit des grands fleuves indiens lesquels prennent leur source dans ces montages.

Enfin, la montée du niveau de la mer pourrait affecter de grandes zones littorales sur plus de 5700 km2.

Pour l’agriculture indienne, les impacts du changement climatique s’analysent à différents niveaux :

  • en premier lieu, la surface agricole utile pourrait être réduite par les effets de l’érosion accélérée des sols et de salinisation des terres. A titre d’exemple, une augmentation du niveau de la mer d’un mètre entraînerait l’envahissement de 1700 km2 de terres agricoles, largement dédiées à la riziculture, dans les Etats de l’Orissa et du Bengale Occidental ;

  • deuxièmement, la gestion de l’eau serait soumise à de nouvelles contraintes en raison de l’occurrence plus régulière de pluies fortes, de la modification des débits des rivières et de l’augmentation du besoin en eau pour l’agriculture. En effet, dans un contexte d’augmentation globale de la température, le phénomène d’évapotranspiration est susceptible d’être plus important, nécessitant un apport d’eau supplémentaire aux cultures, ce qui implique par extension une augmentation de la consommation d’électricité nécessaire au pompage ;

  • troisièmement, les nouvelles conditions climatiques devraient être favorables au développement des nuisibles ainsi qu’aux maladies phytosanitaires et animales, ce qui aura en retour un impact sur les productions agricoles ;

  • quatrièmement, les rendements devraient décroître, en l’absence de progrès variétal et d’actions visant à adapter les cultures au changement climatique. Une étude de 2009 réalisée par l’Université du Maryland conclut que sur la période 2010-2039 les rendements des principales cultures devraient baisser entre 4,5 et 9 %. A long terme, sur la période 2070-2099, la chute serait plus brutale encore de l’ordre 25 % voire plus. Cet impact global fait partie des options retenues dans le document officiel de la NMSA, qui ajoute qu’à moyen terme (horizon 2039), cette baisse de production coûterait 2 points de croissance par an ;

  • enfin, les effets décrits précédemment auront une incidence humaine sans doute importante. Une part encore majoritaire de la population rurale pratique en Inde une agriculture de subsistance. L’impact du changement climatique sur l’agriculture indienne devrait logiquement être plus fort pour ces paysans, les contraignant pour certains d’entre eux à quitter la terre et préférer l’exode.

##Un secteur agricole fortement émetteur de gaz à effet de serre (GES)

D’après les statistiques de l’Indian Network for Climate Change Assessment, l’agriculture était en 2007 le deuxième secteur émettant le plus de GES avec 17,6 %, après l’électricité, dont la production rejette 37,8% du total.

En tendance, la part relative de l’agriculture dans les émissions totales de l’Inde a baissé puisqu’elle s’élevait à 27,6% en 1994. Mais cette baisse s’explique essentiellement par le doublement des émissions liées à la production d’électricité entre 1994 et 2007.

Dans le détail, les émissions provenant de l’agriculture indienne pour l’année 2007 se répartissaient comme suit :

  • 63,4% issues de l’élevage des ruminants (l’Inde détient le premier troupeau au monde),
  • 20,9 % de la culture du riz (émanassions de méthane des 43 millions d’hectares, principalement des zones conduites en riz irrigué ou inondé),
  • 13,0% des sols (à 70,0 % du protoxyde d’azote dégagé par l’utilisation intensive des fertilisants),
  • 2,0 % de la pratique consistant à brûler les résidus de récolte (pour le seul Punjab, chaque année quelque 5500 km2 de pailles de blé et 12 685 km2 de pailles de riz seraient incinérées ),
  • 0,7 % de la gestion du lisier.
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Crédit images : dossier de l'INRA - « Le climat change. La nature et l'agriculture aussi ! »

Au-delà des émissions directes des productions agricoles, il est permis de considérer la contribution de l’agriculture indienne au réchauffement climatique sur la base d’un périmètre plus large en retenant quatre sources d’émissions plus ou moins aisées à quantifier :

  • l’industrie des engrais. Après la Chine, l’Inde est à la fois le deuxième consommateur et le deuxième producteur d’engrais azotés, principalement d’urée. Or cette industrie est fortement consommatrice de carburants fossiles et émettrait près de 100 Mt d’équivalent CO2, ce qui correspondrait à environ 5 % des émissions totale de l’Inde;

  • l’énergie consommée pour l’irrigation. La plupart des systèmes d’irrigation en Inde sont alimentés par des moteurs diésel ou des pompes électriques qui consommeraient par an, respectivement 4 à 4,5 milliards de litres de diésel et 18,0 à 20,0 % de l’électricité produite en Inde selon les données de The Energy Resource Institut (TERI). Dans un contexte de réduction du niveau des ressources aquifères, le pompage implique de descendre de plus en plus profond, engendrant une facture énergique plus lourde. D’ores et déjà, 60,0 % des exploitations indiennes sont irriguées grâce au pompage des eaux souterraines, nécessitant une forte consommation d’énergie;

  • les émissions liées au transport des produits agricoles. Elles sont aujourd’hui recensées au titre des transports ;

  • les émissions des barrages hydroélectriques. Il est reconnu aujourd’hui que les barrages, qui sont essentiels à de nombreuses zones pour l’irrigation, rejettent des quantités importantes de GES, particulièrement en zone tropicale.

##Une réponse sous-dimensionnée au regard des enjeux

L’Inde refuse tout engagement international incluant le secteur agricole. Dans le cadre des négociations sur le climat, lors de la Conférence de Copenhague (2009), l’Inde a communiqué ses engagements nationaux de réduction de l’intensité carbone en soulignant leur caractère volontaire. Elle a pris soin d’exclure explicitement le secteur agricole de ses engagements volontaires au nom de la sécurité alimentaire.

Par ailleurs, l’Inde apparaît comme un des pays (avec l’Argentine, le Brésil et la Chine) les plus réservés sur le lancement d’un programme de travail sur l’agriculture qui mentionnerait une référence à l’atténuation des émissions de GES. L’Inde craint en effet de devoir prendre des mesures contraignantes dans le cadre de l’accord post-2020, qui pourraient menacer sa capacité à accroître sa production et couvrir ses besoins alimentaires domestiques.

L’Inde serait à la rigueur prête à accepter un programme axé sur l’adaptation et les co-bénéfices liés à l’adaptation.

Cette réserve sur l’agriculture se retrouve dans l’attitude de l’Inde vis-à-vis de l’alliance mondiale de recherche sur les gaz à effet de serre en agriculture. Projet portée par le gouvernement néo-zélandais en amont et lors du sommet de Copenhague en 2009, Global Research Alliance on Agricultural greenhouse gases (GRA) réunit désormais 34 États. L’Inde qui avait le statut de pays observateur lors de la première année a finalement décidé de ne pas adhérer lors de la réunion ministérielle du 24 juin 2011 à Rome, et ce alors même que ce pays dispose d’une expertise reconnue et que les premiers groupes de travail – sur le riz, l’élevage et les cultures – la concernent directement.

La stratégie nationale de l’Inde affiche néanmoins une forte ambition. En 2008, l’Inde a adopté un plan d’action national sur le changement climatique sous l’égide d’un conseil placé sous l’autorité du Premier ministre.

Entre autres, ce document appelle de ses vœux la « définition de stratégies amenant l’agriculture indienne à être plus résiliente au changement climatique ».

Il prévoit également la mise en place d’une mission nationale pour l’agriculture durable. Cette dernière a rendu publique en août 2010 un rapport qui met l’accent sur 10 axes déclinés en propositions d’actions :

  • l’amélioration des semences et de la génétique animale,
  • l’usage plus efficient de l’eau,
  • la lutte contre les nuisibles,
  • l’amélioration des pratiques agricoles,
  • la gestion des nutriments,
  • l’assurance agricole,
  • l’accès au crédit,
  • le fonctionnement des marchés,
  • l’accès à l’information en particulier pour développer la transparence des prix et leur formation,
  • la diversification des sources de revenus des agriculteurs.

Au plan budgétaire, ce plan s’accompagne d’une enveloppe budgétaire supplémentaire de 19,6 Mds $ étalée sur la période de programmation du XIIème plan quinquennal (2011-2012 à 2013-2017), ce qui correspond à un effort substantiel si l’on songe que le dernier budget annuel de l’agriculture (2012/2013) s’élève à 22 Mds USD.

Trois ans après l’élaboration de cette stratégie, sa mise en œuvre n’apparaît pas clairement. Les axes du plan d’action et les montants ne figurent pas dans les budgets votés pour les années 2011-12 et 2012-13.

En outre, aucune évaluation à mi-parcours n’a été réalisée. Il est certes possible de rattacher les récentes augmentations de postes budgétaires 2012-13 à la stratégie du NMSA :

  • +17,0 % pour le programme national d’augmentation de la productivité des principales cultures,
  • +20,0 % pour le développement de l’horticulture,
  • +41,0 % pour la production animale,
  • +86,0 % pour l’irrigation.

Mais, ces mesures continuent au fond de relever de la logique de renforcement de la productivité du secteur agricole. Il est symptomatique à cet égard de relever le faible effort consenti dans le domaine de la recherche et du développement, qui dans la stratégie du NMSA ne représente que 6,0 % du budget additionnel.

Par ailleurs, le dernier budget ne donne pas plus d’impulsion à la recherche et l’éducation, dont le poste n’a progressé que de 13% comme l’ensemble du budget de l’agriculture (13,1 %).

Surtout, rien n’est véritablement engagé pour susciter l’émergence de nouveaux modes de production moins « énergivores ». Au contraire, les mesures qui aujourd’hui sous-tendent une production agricole émettant intensivement des GES sont reconduites, au premier chef la subvention aux engrais, qui demeure le premier poste de dépense de la politique agricole (55,0 % du budget) et les subventions du prix de l’électricité pour les agriculteurs.

Ce qu’il faut retenir pour négocier sur le climat :
Face au changement climatique et à l’impératif de la sécurité alimentaire, deux sujets particulièrement sensibles pour l’Inde, ce pays fait le pari de l’adaptation de son agriculture en espérant faire décoller la productivité, sans changer les règles actuelles de la politique agricole.
Néanmoins, ce raisonnement fait l’impasse sur les émissions de GES produites par cette politique comme en témoigne l’absence de véritable logique d’atténuation.
Or, c’est précisément là le passage obligé vers une agriculture durable, passage qui implique au final de corriger résolument le coût carbone et l’efficacité énergétique de la « Révolution verte ».


Annexe

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Carte n°1 - Utilisation du sol en Inde.
Source : l'agriculture indienne, exercice en classe de Seconde.
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Carte n°2 - La révolution verte et ses effets sur l'agriculture en Inde.
Source : l'agriculture indienne, exercice en classe de Seconde.

En complément lire :
La stratégie politique indienne face au dérèglement climatique dans le secteur agricole

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