L’Inde promet des technologies propres

Photo Credit: Solar power, Bharatpur, India

L’Inde promet des technologies propres

Équation difficile pour le troisième pays émetteur de gaz à effet de serre

Source : article publié sur le site internet du journal Le Monde.fr, le 09.02.2015
Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)
Modifié, illustré et commenté par l’auteur de cette page.

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Des ouvriers indiens sur une centrale solaire en construction, le 6 février à Muradwala, dans le nord de l’Inde.
Crédit : Narinder Nanu / AFP.

C’est une équation difficile que l’Inde va devoir résoudre : contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, dont le pays est l’une des premières victimes, sans compromettre son développement. A neuf mois de la Conférence sur le climat à Paris, tous les regards sont tournés vers le géant démographique indien.

« Il est impossible d’arriver à un accord à Paris si les principaux émetteurs ne présentent pas de programmes ambitieux »
— soulignait en janvier Ben Rhodes, le conseiller de M. Obama, désignant l’Inde.

Or les négociations s’annoncent particulièrement difficiles avec ce pays, dont le quart de la population n’a toujours pas accès à l’électricité, où les villes vont devoir accueillir entre 250 et 400 millions d’habitants supplémentaires d’ici à 2050, et dont l’industrie est en pleine croissance. L’Inde est déjà le troisième contributeur de gaz à effet de serre, derrière la Chine et les États-Unis. Ses émissions de CO2 par habitant devraient doubler d’ici à 2030.

Lors du sommet « Delhi Sustainable Development Summit » (DSDS) qui s’est tenu dans la capitale indienne du 4 au 7 février, et où se sont rendus le ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius et sa collègue de l’écologie Ségolène Royal, le gouvernement indien a réitéré sa position : celle d’un accord qui devra respecter le principe de « responsabilité commune mais différenciée ».

« New Delhi ne va pas s’engager sur un plafond d’émissions et encore moins sur une réduction »
— prédit une source proche des négociateurs indiens.

A suivre

##« Qui va payer ? »

Pour afficher ses efforts dans la lutte contre le réchauffement climatique, le ministre indien de l’environnement, Prakash Javadekar, préfère multiplier les annonces sur les technologies propres et plaide, au passage, pour que les pays du Nord lui en facilitent l’accès. Le gouvernement a ainsi dévoilé, lors du sommet DSDS, son objectif de produire 100 000 MW d’énergie solaire d’ici à 2020. La promesse est ambitieuse pour certains, irréaliste pour d’autres. Ces huit dernières années, des capacités de production de 30 000 MW ont été installées dans le pays.

« Qui va payer et avec quels moyens ? »
— demande Ajay Goel, le président de Tata Power Solar, l’un des plus grands fabricants indiens de panneaux solaires.

Les organismes publics chargés de gérer la production de l’électricité dans chaque État régional sont au bord de la faillite. Leurs dettes représentent à elles seules 0,7 % du PNB indien. Le gouvernement doit réformer le secteur de l’électricité et donner des garanties aux entreprises s’il veut les voir investir 170 milliards de dollars (150 milliards d’euros) pour atteindre l’objectif des 100 000 MW d’énergie solaire d’ici à 2020.

Cet investissement dans la « croissance verte » représente une opportunité économique, surtout en termes de création d’emplois, comme l’a rappelé Arnold Schwarzenegger, qui a fait le déplacement à Delhi pour vanter l’exemple de la Californie, dont il fut le gouverneur.

« La croissance verte vaut pour les pays développés qui possèdent des ingénieurs. Mais dans les pays où la main-d’œuvre n’est pas qualifiée, c’est déjà plus difficile »
— nuance Nick Ishmael Perkins, le directeur du site d’information Scidev.net, consacré à la science et à la technologie.

##Lois assouplies

En prônant le développement des technologies propres, l’Inde ne compromet ni le développement de son industrie ni le mode de vie de ses riches citadins. Cette position sera-t-elle tenable ?

Malgré ses ambitions dans le secteur du solaire, et quoi qu’en dise le gouvernement indien, le charbon restera la principale source d’énergie dans les années à venir, répondant à près de 80 % de ses besoins d’ici à 2030. Au cours des derniers mois, les lois de protection de l’environnement ont été assouplies pour favoriser l’exploitation de mines de charbon.

L’Inde ne perd pas une occasion de rappeler ses statistiques de pauvreté pour justifier son besoin de développement et donc d’augmentation de ses émissions de gaz à effet de serre. Or cet argument est de plus en plus contesté. Car les inégalités se creusent, non plus entre États, mais à l’intérieur de chaque pays. Après vingt ans d’une forte croissance, l’Inde n’est plus un pays pauvre mais un pays riche avec beaucoup de pauvres : la onzième économie mondiale, qui compte près de 300 millions d’habitants vivant sous le seuil de pauvreté.

Delhi, si prompt à rappeler le nombre de ses pauvres dans les négociations sur le changement climatique, oublie de les mentionner quand il s’agit de développer le solaire. Or d’après les prévisions du Conseil pour l’énergie, l’environnement et l’eau basé à Delhi, les 10 % d’Indiens les plus pauvres devront augmenter leurs dépenses en électricité d’au moins 18 %, avec le solaire comme source d’énergie.

La pression sur l’Inde pour qu’elle s’engage sur un objectif d’émissions de gaz à effet de serre est montée d’un cran, en novembre dernier, lorsque Pékin a annoncé un plafonnement de ses émissions en 2030, dans un accord signé avec les États-Unis. L’Inde a perdu un précieux allié.

##Partenariat franco-indien dans la construction d’un parc solaire au Punjab

Le « Delhi Sustainable Development Summit » – DSDS 2015 - organisé par l’Institut sur les ressources et l’énergie, TERI, que dirige le Dr Pachauri, Président du GIEC, s’est déroulé dans la capitale indienne du 4 au 7 février. Lors de sa visite à Paris, le Dr Pachauri avait invité Mme Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, à participer à ce sommet qui constitue un rendez-vous important pour préparer la Conférence Paris Climat 2015 (COP21).

Au programme de travail de Mme la ministre il y avait notamment, vendredi 6 février à 18h00, l’inauguration du parc solaire de « Solairedirect », entreprise française, au Punjab dans le nord de l’Inde, avec M. Piyush Goyal, ministre de l’Électricité, des Énergies renouvelables et du Charbon - suivi d’un entretien bilatéral.

Ce projet doit contribuer à atteindre l’objectif indien de produire 100 gigawatts d’énergie solaire d’ici à 2020.

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Construction du parc solaire dans le village de Muradwala Dal Singh, situé à 30 km de Fazilka, dans le Punjab, au nord de l'Inde - Inauguration par Mme Ségolène Royal. Crédit photo : Narinder Nanu/AFP/Getty Images.

Occupant une superficie de 40 ha, ce parc solaire a une capacité de 21 mégawatts (MW). Il produira annuellement 39 GWh, l’équivalent de la consommation de 44000 personnes.

Situé dans le district de Fazilka, ce projet résulte de la sélection de l’entreprise française « Solairedirect » dans le cadre d’un appel d’offres du Punjab (nord) en juin 2013, un État connu pour son fort déficit électrique et des pénuries qui affectent tout particulièrement ses capacités de pompage et d’irrigation pendant la saison sèche (mars à juin).

En conséquence, la production solaire, au plus haut à cette saison, constitue une réponse particulièrement pertinente pour améliorer la continuité de l’approvisionnement en électricité.

Lancée en 2014, la construction du parc a été menée par les équipes indiennes et françaises de la société. Le financement en dette a été quant à lui assuré par un établissement indien, PTC Financial.

Cette nouvelle construction constitue une première technique avec la mise en œuvre, pour la première fois, d’une sous-station élévatrice de tension de 11 kV à 66 kV et marque ainsi une étape essentielle dans l’atteinte des standards les plus exigeants en Inde tant sur le plan industriel, qu’environnemental et de sécurité.

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Crédit photo : newznew.com

« L’inauguration de Fazilka confirme notre capacité à répondre à l’accélération du développement du solaire impulsée par le gouvernement indien, avec des offres compétitives face à la concurrence internationale »
— souligne Thierry Lepercq, président de Solairedirect.

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Entretien bilatéral entre Mme Ségolène Royal et son homologue indien de l'État du Punjab M. Bikram Singh Majithia, ministre de l'Environnement, des sources d'énergies nouvelles et renouvelables - Crédit : DailyPost

Lors de cette inauguration, ce fut l’occasion pour Mme Ségolène Royal, de rappeler les propos de M. Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, qui la veille, lors de sa rencontre avec le premier ministre indien Narendra Modi avait dit :

« La France est convaincue que l’Inde contribuera au succès de la conférence de Paris sur le climat (COP 21) en fin d’année, ses efforts n’entraveront pas sa lutte contre la pauvreté. »

Vidéo de l’inauguration en V.O. (« French solar park inaugurated in Punjab »)

Vidéo sur YouTube - Durée : 1 minute 15 secondes - Images prises par l'agence de presse ANI News (Asian News International), spécialisée dans les nouvelles concernant le sous-continent indien (Asie du Sud) - le 6 février 2015.

Au final, cette inauguration ministérielle symbolise ainsi les efforts français et indien dans le cadre de la prochaine COP 21 qui se tiendra fin 2015 à Paris et dont l’objectif principal est la conclusion d’un nouvel accord sur le climat.


##Mots clés

Atténuation - L’atténuation au changement climatique correspond à la réduction de l’ampleur du changement climatique et de ses conséquences. Concrètement, cela correspond à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou à l’amplification des « puits de carbone », par exemple via la reforestation et/ou l’utilisation de technologies propres.

Croissance verte (ou croissance bas-carbone/« décarbonisation »/verdissement de l’économie) - La croissance est mesurée par la variation de l’indicateur Produit Intérieur Brut (PIB) année après année. L’intensité carbone du PIB représente le ratio GES/PIB, à savoir la quantité de gaz à effet de serre émise par unité de PIB. Une croissance bas-carbone signifie ainsi de baisser ce ratio le plus possible afin de « décarboner » au maximum l’économie. Cela se traduit notamment, au niveau national, par la mise en œuvre de projets de transition énergétique qui permet de diminuer la dépendance d’un pays aux différentes sources d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) et d’augmenter l’efficacité énergétique des secteurs clé comme les bâtiments, les transports et la production d’énergie et d’électricité.

Efficacité énergétique - C’est la « capacité à produire autant ou plus (de chaleur par exemple) avec moins d’énergie et/ou à réduire les consommations d’énergie à service rendu égal ». L’efficacité énergétique est complémentaire de la notion de sobriété énergétique qui consiste, de manière globale, à consommer moins d’énergie de façon volontaire. (Source : Regards sur la Terre 2007)

Énergie - L’énergie est la capacité d’un système à produire une action. Elle permet la transformation. L’énergie se conserve toujours. Il n’y a ni création ni destruction d’énergie. Son unité est le Joules (J). Les sources d’énergie désignent tous les phénomènes ou composés chimiques à partir desquelles il est possible d’exploiter l’énergie. On peut classer ces sources en deux catégories : les sources d’énergies renouvelables, et les sources d’énergies non- renouvelables, dont le stock est fini sur Terre ou se régénère sur des temps très longs. Dans le monde, 83% de l’énergie est issue des sources d’énergies non-renouvelables fossiles (ndlr : qui contiennent l’élément carbone comme le charbon, le gaz naturel et le pétrole), dont la combustion a comme produit le CO2, un gaz à effet de serre (GES). Le nucléaire représente une énergie de stock mais qui n’est pas fossile. En effet, son combustible est l’élément uranium U.

Énergies renouvelables - Les sources d’énergie renouvelables permettent d’exploiter l’énergie sous forme de flux, et non de stocks. On peut citer par exemple les sources d’énergie solaire, éolienne, hydrique, la biomasse et la géothermie. Aujourd’hui, les énergies renouvelables représentent moins de 1% de la production d’énergie dans le monde.

Technologies propres - « Toutes les méthodes de fabrication ou procédés utilisant le plus rationnellement possible les matières premières et/ou l’énergie, tout en réduisant la quantité des effluents polluants, des déchets ou rebuts issus de la fabrication ou de l’utilisation du produit ». (Source : http://www.technologies-propres.com/)

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