Laboratoire de l'adaptation au changement climatique
Source : article publié sur le site internet du journal Le Monde.fr, le 25.08.2014
Par Julien Bouissou (Surat, Inde, envoyé spécial)
Modifié, illustré et commenté par l’auteur de cette page.
Ce n’est plus qu’une question de temps. La ville de Surat, sur la côte ouest de l’Inde, connaîtra bientôt des inondations à répétition pouvant déclencher des épidémies de paludisme ou de dengue, et une hausse des températures qui pourrait obliger les entreprises à délocaliser leurs usines. Ses 4,5 millions d’habitants se préparent déjà à affronter les catastrophes déclenchées par l’urbanisation rapide et le réchauffement climatique.
Surat, qui a bâti sa fortune sur les industries du textile, des diamants et de la pétrochimie, est l’une des premières cités à avoir rejoint, en 2008, le Réseau de villes asiatiques pour la résilience au changement climatique1 mis en place par la Fondation Rockefeller. Elle bénéficie à ce titre d’une aide technique et financière pour identifier les menaces et tester des solutions. « C’est avant tout dans les villes que les risques climatiques et la pauvreté risquent d’avoir les conséquences les plus terribles », prédit la Fondation Rockefeller.
Après les défis du développement et de la lutte contre la pauvreté, les villes indiennes doivent relever celui de la « résilience ». Elles seront, en Inde, aux avant-postes de la lutte contre le changement climatique, puisqu’elles abriteront 70 % des richesses du pays et 590 millions d’habitants d’ici à 2030. « Ne pas prendre en compte le changement climatique dans la planification urbaine se traduira par des pertes économiques considérables et des dégâts sociaux, surtout parmi les plus vulnérables », prévenait, au début de l’année (Ndlr : 2014), l’Institut sur les ressources et l’énergie2, TERI, basé à Delhi.
##Un « consensus général sur les menaces climatiques »
Plusieurs atouts pourraient faire de Surat une ville résiliente modèle. « La municipalité est politiquement stable et il y a un consensus général sur les menaces climatiques. Les milieux d’affaires sont mobilisés, car ils comprennent mieux que quiconque les pertes qu’ils pourraient subir », explique Mahesh Rajasekar, directeur de l’agence Taru3, maître d’oeuvre de la stratégie de résilience conduite dans la ville. Surat a l’habitude des inondations. En 2006, les trois quarts de ses quartiers étaient sous les eaux, ce qui avait causé des centaines de millions de dollars de pertes. Son emplacement géographique, à l’embouchure du fleuve Tapi qui draine les eaux d’un bassin qui s’étend sur plus de 65 000 km², est le premier facteur de sa vulnérabilité.
Vidéo amateur : inondation de la ville de Surat en 2006 (« Surat flood 2006 »)
Surat est ensuite la quatrième ville au monde à connaître le plus fort développement, avec un quasi doublement de sa population entre 2001 et 2011. L’urbanisation rapide, en amont et en aval du fleuve Tapi, aggrave les risques d’inondation en bloquant toute dérivation des eaux. « Les urbanistes n’ont même pas le temps de planifier quoi que ce soit, les immeubles sont déjà construits avant même que les périmètres administratifs de la ville soient élargis », témoigne Mahesh Rajasekar.
Avec la hausse des températures, les précipitations de la mousson seront plus courtes et abondantes, faisant craindre des inondations encore plus violentes. Surat n’a guère d’autre choix que de les anticiper, pour au moins en limiter les dégâts. Plusieurs stations météorologiques automatisées ont été installées à l’intérieur des terres pour prévoir l’intensité des précipitations et leur impact sur le niveau des eaux du barrage Ukai, à 100 kilomètres en amont de Surat. « On peut donc réguler le débit du barrage pour éviter qu’il déborde, et quand il déborde, l’inondation à Surat peut être modélisée, quartier par quartier, sur une microcarte. Il sera possible de prédire l’étendue de l’inondation entre huit heures et quatre jours avant », espère Mehul Patel, chef de projet chez Taru3.
Régulation du débit du barrage Ukai et modélisation cartographique des inondations, quartier par quartier, de la ville de Surat
Flood inundation mapping of Surat city - A prospective view of flood return period - Document présenté lors de The International Conference on Flood Resilience - Experiences in Asia and Europe, 5-7 September 2013 - Exeter, United Kingdom (version anglaise)
La ville de Surat a demandé un système d’alerte de crue en temps réel et des cartes détaillées des zones potentiellement inondables. Un projet pilote a été réalisée en utilisant un modèle d’inondation 2D (CAESAR-LISFLOOD).
Pour avertir les habitants d’un risque d’inondation dans les 72 heures, un modèle a été développé afin de simuler le débit du fleuve Tapi dans la plaine inondable.
La fiabilité du modèle permet de prédire un débit d’eau dans une gamme de 8000 à 40000 m3.s-1 (ou m3/s). Ce modèle d’écoulement a été couplé à un modèle d’informations cartographiques (haute résolution spatiale) des zones inondables de la ville.
##Des conditions réunies pour le déclenchement d’épidémies
« Nous sommes prêts à faire face aux inondations », assure Jatin S. Shah, l’ingénieur en chef de la municipalité.
« Ceux qui savent nager ont été identifiés dans chaque quartier, et des bateaux ont été entreposés dans les casernes de pompiers. En cas d’inondation, les habitants peuvent se réfugier sur leur toit et aller chez leurs voisins en sautant d’une terrasse à l’autre. »
C’est dans les jours, voire les heures qui suivent, que le pire est à redouter.
Toutes les conditions sont réunies pour le déclenchement d’épidémies : la présence d’eau stagnante et les températures élevées qui favorisent la multiplication de moustiques porteurs de la dengue ou de la malaria, la surpopulation dans des habitats insalubres, ou encore le manque d’infrastructures d’assainissement.
« Le meilleur moyen de prévenir l’apparition d’épidémies, c’est la surveillance. Quelles sont les populations affectées ? Dans quels quartiers ? Pour avoir accès à ces informations, tous les médecins et hôpitaux de la ville nous envoient déjà par SMS en fin de journée les cas diagnostiqués », explique Vikas Desai, la présidente, à Surat, du Centre de la santé urbaine et de la résilience au climat4, chargé de documenter les nouvelles épidémies liées au changement climatique.
##« L’air conditionné coûte trop cher »
En plus des maladies et des inondations, la hausse des températures est redoutée dans une région qui connaît déjà de fortes chaleurs en été. « Dans les usines ou les bidonvilles, l’air conditionné coûte trop cher. La chaleur pourrait faire fuir les ouvriers. Et la hausse de la température a des conséquences sur la productivité », s’inquiète Kamlesh Yagnik, ancien directeur de la chambre de commerce du sud du Gujarat. Plusieurs solutions sont à l’étude, dont une peinture appliquée sur les toits, qui réverbère les rayons de soleil pour faire baisser les températures à l’intérieur des maisons.
Toute la gouvernance municipale doit être repensée afin que la ville puisse relever le défi de la résilience. « La concertation entre tous les départements municipaux sera la clé du succès », martèle Vikas Desai. Un comité, le Surat Climate Change Trust5, rassemble déjà des responsables économiques, politiques ou encore scientifiques, et un poste de « responsable de la résilience » va voir le jour en septembre, à la municipalité de Surat. Les autorités municipales peuvent également compter sur les échanges d’expérience avec d’autres villes du réseau mis en place par la Fondation Rockefeller, lequel devrait compter 100 membres d’ici à la fin de l’année.
Quatre scénarios sont envisagés pour le futur de Surat. Le plus optimiste prévoit un tissu économique encore dynamique et une gestion décentralisée des ressources. Dans le scénario le plus pessimiste, la municipalité ne parviendra pas à gérer le boom urbain ni les chocs climatiques, ce qui entraînera des conflits entre les communautés, une hausse de la criminalité et la désertion des industries.
##Mots clés
Adaptation - L’adaptation au changement climatique consiste à mettre en œuvre des mesures permettant de réduire la vulnérabilité des sociétés humaines aux conséquences du changement climatique et à profiter des éventuelles opportunités. La réduction de la vulnérabilité des sociétés passe principalement par l’augmentation de la résilience de ces dernières.
Résilience - La résilience peut être appliquée à plusieurs matières. En écologie, la résilience est la capacité d’un écosystème ou d’une espèce à récupérer un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi un traumatisme.
Vulnérabilité - « Mesure du risque d’impact ou de dégradation lié à l’évolution du climat pour un système. La vulnérabilité dépend non seulement de la sensibilité, mais aussi de l’adaptabilité du système à de nouvelles conditions climatiques. Cette notion combine le niveau de menace physique d’une société et sa capacité d’adaptation. Elle souligne donc le rôle des facteurs socio-économiques, qui vont amplifier ou atténuer l’impact des variations climatiques sur une société ». (Source : Regards sur la Terre 2007)
La vulnérabilité dépend donc de ce que l’on définit comme enjeu. Il peut concerner un territoire, une entreprise, l’activité d’une région, un bâtiment, un écosystème. En fonction de leurs caractéristiques propres, de leur exposition aux aléas, la résilience des écosystèmes peut ainsi être différente.
##A lire et à voir en complément
Article publié sur le site internet du journal anglais « The Guardian »
Indian city of Surat anticipates worst effects of climate change
Vidéo - La ville de Surat avant, pendant et après l’inondation de 2006 (« Surat flood 2006, by Jayendra Kaklotar and et Vikas Monpara »)
Synthèse
Les enjeux du changement climatique en Inde
Une grande vulnérabilité aux impacts du changement climatique.
Notes de bas de page :
-
Asian Cities Climate Change Resilience Network (ACCCRN) (Page consultée le 20 février 2015). ↩
-
The Energy and Resources Institute (TERI) (Page consultée le 20 février 2015). ↩
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TARU Leading Edge Pvt. Ltd. (Page consultée le 20 février 2015). ↩ ↩2
-
Urban health & climate resilience center (UHCRC) (Page consultée le 21 février 2015) ↩
-
Surat Climate Change Trust (SCCT) (Page consultée le 19 février 2015). ↩