Jusqu’où la procréation assistée est-elle possible, souhaitable ?
« Ce qui était invisible est devenu visible, ce qui était intouchable va devenir manipulable. »
- René Frydman, médecin gynécologue obstétricien. Spécialiste de la grossesse et de la procréation médicalement assistée. « Père » d’Amandine, premier bébé-éprouvette en France.
Sommaire
- Possible oui, puisqu’elle s’est bien insérée dans notre vie quotidienne
- Les spécialistes de la procréation n’y croyaient pas
- Pourquoi s’est-on lancé dans la fécondation in vitro ?
- Le début de l’histoire de la FIV
- Les quatre étapes fondamentales de la FIV
- D’où les débats
- Louise Brown : une rupture
- Des techniques particulières ont permis de développer la procréation médicalement assistée (PMA)
- Quelques données en 2007
- Encadrement par une loi, car beaucoup de dérives sont possibles
- Que va-t-on faire entrer en ligne de compte ?
- Conclusion
Possible oui, puisqu’elle s’est bien insérée dans notre vie quotidienne
Nous avons tous soit des amis, soit des proches, soit nous-même concernés par ce problème de la reproduction.
Actuellement le premier enfant vient en moyenne à l’âge de 30 ans pour les jeunes femmes. Cela a bien évolué par rapport à ce que l’on pouvait constater jusqu’après les deux grandes guerres mondiales.
Les difficultés de se reproduire ont toujours existé mais, elles ont trouvé là un chemin un peu particulier qui est de contourner le phénomène naturel en permettant à un ovocyte et à un spermatozoïde de se rencontrer à l’extérieur de l’organisme.
Les spécialistes de la procréation n’y croyaient pas
Pourtant, il faut rendre hommage à l’annonce faite par Robert Edwards qui fut le premier à parler de fécondation in vitro (FIV) et qui l’a faite dans l’espèce humaine.
Dans l’assemblée des 3000 médecins présents lors de cette annonce, peu pensaient que cela était réel.
Effectivement on a toujours eu des doutes sur la façon dont se faisait une personne humaine et quels étaient les mystères qui l’entouraient.
De penser que d’un souffle, pour les uns divin, pour les autres autre, en était l’origine mais, de là à imaginer qu’une main médicale pouvait permettre la naissance d’un enfant, il y avait quelques interrogations.
Pourquoi s’est-on lancé dans la fécondation in vitro ?
Rappelons que naturellement, il faut un spermatozoïde et un ovocyte qui se rencontrent à l’intérieur de l’utérus de la femme, pour qu’un nouvel individu se développe correctement.
Cela est rendu impossible dans le cas de stérilité dont les origines sont variées.
Pour la femme, il peut s’agir d’une obstruction des trompes, d’un problème hormonal entraînant une absence d’ovulation ou un faible développement de la muqueuse utérine.
Pour l’homme, on peut avoir une obstruction des canaux déférents, une oligospermie (peu de spermatozoïdes) ou une azoospermie (pas de spermatozoïde du tout).
En résumé : parfois, les trompes sont obturées et ne peuvent permettre la rencontre des gamètes ou parfois il n’y a pas suffisamment d’ovocytes ou parfois il n’y a pas suffisamment de spermatozoïdes.
On a donc proposé la fécondation in vitro (FIV) dans des cas incontournables :
- de stérilité tubaire ;
- de stérilité masculine extrême ;
- de l’absence de production d’ovocyte.
La technique va permettre d’introduire dans le couple un gamète féminin étranger par don d’ovocytes d’une autre femme et/ou un gamète masculin étranger par don de spermatozoïdes d’un autre homme.
Progressivement toutes les causes d’infertilité se sont faites candidates à la pratique d’une fécondation in vitro :
- après une longue durée d’attente faisant suite à un désir d’enfant ;
- après une correction hormonale ;
- après une stimulation ovarienne ;
- après l’échec d’une insémination artificielle (IA).
Le début de l’histoire de la FIV
Quelques dates clés
1934 : première étude sur la fécondation in vitro effectuée chez le lapin, par le chercheur américain Gregory Pincus (Médecin et biologiste américain, plus connu pour être le co-inventeur de la pilule contraceptive)
Mais Pincus était en avance sur son temps et son expérience fût extrêmement critiquée. En effet, peu de temps avant (en 1932), Aldous Huxley, écrivain américain, venait de publier son roman « Le meilleur des mondes ». Il y racontait l’histoire cauchemardesque de bébés éprouvettes nés sans humanité ni esprit. Le journal Times Magazine dépeigna alors Pincus comme « un docteur Frankenstein » qui transformait la science-fiction en réalité.
1944 : premiers travaux sur la fécondation in vitro en dehors du corps de la femme.
Travaux de John Rock et Miriam Menkin, un couple de chercheurs américains qui entendirent parler des travaux de Pincus. Spécialistes en obstétrique et gynécologie, ils souhaitaient appliquer cette technique pour combattre l’infertilité féminine. Après de nombreuses tentatives, Miriam Menkin fut la témoin de la première fécondation ayant eu lieu hors du corps de la femme, dans une boite de Pétri. Toutefois, aucune preuve irréfutable n’a permis d’affirmer qu’il y ait eu fécondation (Aujourd’hui, on considère qu’il s’agissait plutôt de l’obtention d’ovocytes fragmentés.). Le couple ne tenta pas de réimplanter les embryons dans l’utérus humain.
1954 : première réussite d’une fécondation in vitro chez la lapine, par Charles Thibault, chercheur français à l’INRA de Jouy-en-Josas.
1966 : première fécondation in vitro chez l’espèce humaine, R.G. (dit Bob) Edwards.
1975 : échec de la première grossesse tubaire humaine extra-utérine, suite à une réimplantation d’embryon après une fécondation in vitro (FIV)
1978 : naissance de Louise Brown (premier bébé « éprouvette » au monde)
1982 : naissance d’Amandine, premier bébé « éprouvette » français / René Frydman et Jacques Testard.
Les quatre étapes fondamentales de la FIV
- Etape 1 - Recueillir des spermatozoïdes : assez banal, par masturbation.
- Etape2 - Recueillir des ovocytes : plus complexe, car il faut aller les chercher (par coelioscopie en faisant un petit trou dans le nombril et sous échographie)
N.B : les techniques de recueillement se font dans les CECOS (centre d’étude et de conservation des ovules et du sperme). Le sperme et les ovocytes peuvent être congelés. En cas d’azoospermie ou d’absence d’ovocytes, on fait appelle à un donneur de spermatozoïdes ou une donneuse d’ovocytes (anonymes en France) dont les caractéristiques physiques se rapprochent du père ou de la mère social(e).
- Etape3 - Une fois les ovocytes recueillis suite à une stimulation médicamenteuse de la phase folliculaire du cycle ovarien, on les place dans une éprouvette en présence de spermatozoïdes préalablement recueillis.
La rencontre des deux gamètes au cours de la fécondation se fait dans une éprouvette, in vitro. D’où le nom de « bébé éprouvette ».
- Etape4 - Une fois l’obtention d’embryons (division d’un oeuf fécondé en plusieurs cellules) ont les transfert à l’intérieur de l’utérus de la femme.
La FIV devient ainsi FIVETE (fécondation in vitro et transplantation d’embryon)
Le taux de réussite de la fivète est plus faible que le taux de réussite d’une fécondation naturelle. Lors du prélèvement des ovocytes, on fabrique plus d’embryons qu’on en implante et on congèle le surplus. En cas d’échec d’une première implantation, on prendra ces embryons congelés pour tenter une nouvelle implantation.
Echographies de deux ovaires : l’un non stimulé, l’autre stimulé de façon médicamenteuse
Gamètes et embryon humains : « le tout début du début »
D’où les débats
- Quand commence la personne humaine ?
- Qu’est-ce qu’un être humain ?
- Un embryon à deux ou quatre cellules a-t-il un statut particulier ? ou a-t-il un potentiel de destination vers l’être humain ? Est-ce qu’il y arrive à chaque fois ?
Pour cette dernière question la réponse est non, car la reproduction humaine n’est pas excellente puisqu’il y a environ 20% de perte au tout début de grossesse.
De nombreux embryons eux-mêmes ne s’implantent pas, même pour ceux qui s’accrochent à la paroi interne de l’utérus, 20% n’arrivent pas à terme naturellement.
Louise Brown : une rupture
A partir de là, « Ce qui était invisible est devenu visible, ce qui était intouchable va devenir manipulable. » - René Frydman
Il s’agit d’une étape importante dans l’histoire de l’humanité.
Les étapes franchies depuis la naissance de Louise Brown
1983 : naissance après don d’ovocytes / Australie
Première introduction d’un gamète féminin étranger au couple (le don d’ovocyte n’existé pas)
A cette même époque, était plus fréquent l’introduction d’un gamète mâle étranger au couple par don de sperme qui pouvait être médical ou pas, par introduction d’un troisième dans un couple.
1984 : Zoé Leyland - 1er bébé issu d’un embryon congelé / Trounson et al / Melbourne - Australie
Une fois des embryons obtenus par FIV, on s’est aperçu qu’on pouvait les congeler pendant des années. Après décongélation, ils peuvent ensuite retrouver leur potentiel initial.
Il n’y a pas un pays au monde qui n’aie pas un centre de fécondation in vitro. Parfois avec des indications qui mériteraient d’être discutées. Dans certains pays, où les jeunes filles peuvent se marier à 16 ans, si à 18 ans elles n’ont pas d’enfant, on leur prescrit une FIV.
Toutefois, il est incontestable que la technique de la FIV s’est installée dans nos sociétés.
En France, il y a environ 60 000 tentatives par an. Il y a environ 20 000 naissances par an après l’usage d’une FIV.
Le taux de réussite d’une FIV se situe entre 30 et 40%. En France, les couples peuvent recommencer jusqu’à 4 fois une tentative, tout en étant pris en charge par le système de sécurité sociale.
Des techniques particulières ont permis de développer la procréation médicalement assistée (PMA)
ICSI : Intra Cytoplasmic Sperm Injection (Injection intracytoplasmique de spermatozoïdes)
On s’est longtemps focalisé et dirigé vers la stérilité féminine, mais en s’intéressant davantage à l’insuffisance masculine on s’est aperçu qu’on pouvait aller chercher les spermatozoïdes directement dans les testicules, lorsque l’homme en avait très peu dans l’éjaculat.
C’est ainsi que pour traiter la stérilité masculine une technique (ICSI) permet d’introduire un seul spermatozoïde dans un ovocyte, en-dehors de l’organisme.
DPI : diagnostique pré-implantatoire
Après aspiration de deux cellules embryonnaires, on va pouvoir les analyser et ainsi obtenir « des indications sur un être qui n’est pas encore nait ». Permet de déceler certaines caractéristiques génétiques qui entraînent des maladies.
Apparu en 1992, il a fallu 10 ans pour que cette technique soit appliquée en France. On dénombre environ 350 naissances en France à partir de cette technique.
Congélation des ovocytes
Les congélations des spermatozoïdes (depuis 1970 avec les banques des CECOS) et des embryons étaient déjà connues, mais pas celles des ovocytes.
Désormais, de plus en plus, on est capable de congeler des ovocytes. Cela a pour conséquence de fabriquer moins d’embryon. Avec une banque d’ovocytes on peut en féconder qu’une partie. Néanmoins, on peut développer les banques d’embryons et on peut préserver la fertilité à des femmes qui vont bénéficier d’un traitement anticancéreux pour les guérir tout en condamnant leurs ovaires.
Ou, cela peut faire débat dans la société, en utilisant cette technique de congélation, sachant qu’avec l’âge, la fertilité baisse chez une femme et qu’en attendant de trouver le « bon » partenaire ou en souhaitant retarder son désir d’enfant, elle pourra préserver des ovocytes congelés afin d’augmenter la probabilité d’obtenir une progéniture à un âge plus avancé.
Quelques données en 2007
Source : agence de la Biomédecine.
- 106 centres clinico-biologiques en France.
- 122 056 tentatives (IIU, FIV, Transferts d’embryons congelés)
- 6% de recours à un don de gamètes.
- 52334 cycles FIV (61 % ICSI)
- don d’ovocytes : 696 tentatives.
- 817 911 enfants nés / 20 657 par PMA (FIV) par an.
Encadrement par une loi, car beaucoup de dérives sont possibles
Ouverture à des pratiques de convenances discutables, lorsque le Dpi ne permet plus uniquement de déceler des anomalies génétiques à l’origine de maladies mais de rechercher le sexe de l’enfant à naître.
La mise en oeuvre des techniques de procréation médicalement assistée pose des questions de société :
- Va-t-on proposer la fécondation in-vitro à des couples fertiles ? à des femmes seules ? à des couples homosexuels ?
- En cas de décès du partenaire (en l’occurence l’homme) va-t-on autoriser l’insémination post-mortem en utilisant les gamètes congelés qui ont été conservés ?
- Doit-on conserver l’anonymat et la gratuité du don ?
- Doit-on autoriser les mères porteuses ?
- Doit-on autoriser le clonage humain ?
En tout état de cause, le questionnement sociétal n’est pas de savoir « Comment faire ? », car on sait de plus en plus faire. En revanche on peut s’interroger sur « pour quoi faire ? ».
Que va-t-on faire entrer en ligne de compte ?
Est-ce que dans toutes ces techniques telles quelles sont proposées, va-t-on atteindre la dignité humaine ?
C’est à dire, va-t-on utiliser les uns pour les autres ? Va-t-on prendre des ovocytes, des spermatozoïdes ou des embryons, faire porter un enfant par une autre femme comme un service ? et comme une exploitation ? ou va-t-on mettre des limites pour que les désirs des uns ne s’appuient pas sur l’exploitation des autres ?
Conclusion
Finalement la procréation médicalement assistée (PMA) est complètement insérée dans notre société et dans nos concepts, nos valeurs.
Il s’agit d’un problème éthique depuis le début, de savoir quand débute la personne humaine ?
Mais aujourd’hui, outre cette interrogation qui reste présente depuis Aristote, la question est de savoir comment va-t-on utiliser toutes ces techniques ? Et faut-il utiliser toutes ces techniques ? même si cela est possible.
Est-ce que cela est indispensable ? C’est la question qu’il faut constamment se poser et ne pas foncer tête baissée simplement en appliquant ce qui existe.
C’est un peu comme l’énergie atomique, il y a beaucoup de choses dans nos mains sur le concept de l’Homme, sur le dessein d’un homme que l’on pourrait presque programmer, il faut toujours se poser la question : est-ce cela que nous souhaitons pour notre société ?
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